Retour sur une année de recherche à l’étranger
Pour parfaire sa formation de chercheur, Guillaume Economos a passé une année au Cicely Saunder’s Institute du King’s College, à Londres. Riche de cette expérience, ce jeune médecin tente aujourd’hui de s’inspirer des points forts du modèle anglais pour développer la recherche en soins palliatifs en France.
- Comment ce séjour à l’étranger s’est-il inscrit dans votre parcours ?
J’ai décidé de m’orienter vers les soins palliatifs après les avoir découverts de manière fortuite en stage, pendant mon cursus en médecine. Mon internat a donc été fléché sur ce domaine, et plus particulièrement sur la recherche : j’ai obtenu un DESC1 en soins palliatifs et suivi le master Recherche en soins palliatifs de l’Université Paris-Est Créteil. Puis, avant de prendre un poste de chef de clinique en 2019 au CHU de Lyon, j’ai voulu faire l’expérience de la mobilité internationale et j’ai saisi l’opportunité offerte par l’Agence régionale de santé (ARS) de bénéficier d’une « année recherche »2.
- Où avez-vous choisi d’aller ?
Je me suis intéressé aux laboratoires les plus productifs au monde dans ce secteur. Il s’agit du MD Anderson cancer Center aux USA, de l’Université Mc Gill au Canada, et du Cicely Saunder’s Institute of palliative care, policy and rehabilitation, du King’s College, à Londres. J’ai finalement opté pour ce dernier car son approche des soins palliatifs inclut de nombreuses pathologies (maladies neurodégénératives, respiratoires…), alors qu’en France, on reste très centré sur la cancérologie.
- Avec qui avez-vous travaillé ?
J’ai bénéficié d’un encadrement d’excellente qualité, parfaitement pensé par rapport au parcours universitaire auquel je me destinais. Mon superviseur était Jonathan Koffman, un sociologue qui fait de la recherche en soins palliatifs depuis une dizaine d’années. J’ai également fait équipe avec d’autres personnes, médecins ou non médecins, tels que le Pr. Irene Higginson, cheffe du département, et le Dr Sabrina Bajwa, chargée de la recherche clinique, sur d’autres projets. C’était extrêmement intéressant pour moi de découvrir autre chose que la recherche clinique. Cela m’a permis d’avoir une vision beaucoup plus large et transversale.
- Que pensez-vous du Cicely Saunders Institute ?
C’est une structure exceptionnelle, forte d’une grande expérience. Les chercheurs s’y consacrent exclusivement à leurs travaux : ce ne sont pas, comme j’ai pu le voir en France, des médecins qui mènent des études scientifiques quand leur emploi du temps et les moyens financiers le leur permettent. Dans le même bâtiment œuvrent d’un côté les cliniciens, de l’autre une cinquantaine de chercheurs, ce qui facilite les interactions. Au sein même de l’institut, on trouve l’ensemble des compétences nécessaires : des biostatisticiens, des linguistes… tous dotés d’une réelle expertise dans le domaine des soins palliatifs. Beaucoup de moments d’échanges sont organisés : un jour ce sont les juniors qui présentent leurs études, le lendemain on se rassemble pour une lecture critique d’articles, le jour suivant une nouveauté sur les soins palliatifs nous est présentée… L’efficacité scientifique de cette organisation est indéniable. Elle se traduit notamment par le fait que le Cicely Saunders Institute parvient à obtenir des financements de type horizon 20203, ce qui n’est le cas d’aucune équipe de recherche en soins palliatifs française.
- L’Angleterre est-elle en avance sur la France dans ce domaine ?
L’Angleterre est le berceau des soins palliatifs européens tels qu’on les conçoit actuellement, grâce à Cicely Saunders4 qui fut une véritable pionnière. La culture palliative y est donc plus ancienne (elle date du début des années 1960) et plus développée qu’en France. Les soins palliatifs font non seulement partie intégrante de la prise en charge du cancer, mais aussi de toutes les pathologies chroniques. Il existe des équipes mobiles spécialisées pour la douleur, pour la dyspnée, pour les problèmes d’insuffisance hépatique ou rénale… Elles interviennent auprès de tous les malades, quelle que soit leur pathologie et leur évolution dans le stade palliatif. Le grand public est également mieux informé sur ces soins, notamment grâce à de nombreuses associations, et ceux-ci sont dispensés de manière plus précoce. Tandis qu’en France on peine à développer l’usage des directives anticipées5, la Grande Bretagne est déjà dans l’advance care planning, autrement dit, une démarche de compréhension globale des représentations des patients et de leurs attentes permettant des prises de décisions adéquates en fin de vie.
- Y-a-il d’autres particularités, d’autres différences culturelles qui vous aient frappé ?
Oui, il s’agit de l’implication des patients dans la recherche, et pas seulement en tant que sujets d'une étude. En Angleterre, il est très important qu’un patient expert fasse partie du comité de développement d’un projet. Ces patients dits « partenaires » sont des individus atteints ou ayant été atteints par la maladie ou, si celle-ci est trop invalidante, un de leurs proches. Ils suivent une formation à la recherche et sont sollicités pour évaluer la pertinence d’une étude, son intérêt et son acceptabilité pour la population de malades qu’ils représentent. Ils sont parfaitement intégrés aux équipes de recherche, auxquelles ils apportent un point de vue « concret ». Il est dommage qu’on n’ait pas développé cette culture en France, je pense que la qualité de nos travaux en pâtit, d’autant plus que l’inclusion de patients experts est maintenant un critère pour l’obtention de certains financements. Ce qui diffère également en Angleterre, c’est le management de la recherche. Tandis qu’en France l’investigateur principal est presque toujours un médecin, là-bas il peut s’agir d’un infirmier (il existe un doctorat infirmier), d’un statisticien, d’un kinésithérapeute ou encore d’un assistant social. Les horizons professionnels des investigateurs sont plus hétérogènes et je pense que cette diversité de point de vue est bénéfique également.
- Quels sont vos objectifs pour l’avenir?
En France, il n’existe pas de centre de recherche en soins palliatifs qui soit organisé comme le Cicely Saunders Institute, mais j’aimerais parvenir à reproduire ce modèle, c’est-à-dire à développer de la recherche avec des fonds dédiés et à sécuriser les emplois de chercheurs formés aux particularités de notre discipline. Mais je me heurte à un certain nombre de difficultés, à commencer par l’obtention de crédits qui se fait actuellement en répondant à des appels à projets moins spécifiques, ce qui ne facilite pas les choses. Nous travaillons avec d’autres centres de recherche en Auvergne Rhône Alpes pour tenter de répondre ensemble et de manière plus systématique à des appels à projets. Il n’est possible d’accéder à d’importants financements (de type H2020) que si on a structuré une filière de recherche en amont.
- Quels conseils donneriez-vous pour bien préparer une année recherche à l’étranger ?
Avant tout : bien définir son projet, en échangeant au préalable avec son encadrant, pour garder un fil conducteur même si on est amené à travailler sur plusieurs sujets. Deuxième chose : opter pour un laboratoire renommé, bien structuré, faisant partie d’une université dont la dynamique de recherche est intéressante car c’est vraiment très inspirant de découvrir ces « écuries de course ». Ensuite, penser au financement… Je suis parti avec l’idée folle que ma subvention de recherche allait suffire alors qu’elle couvrait tout juste mon loyer et les frais d’inscription. D’un pays à l’autre, le niveau de vie varie, et ce qui peut sembler suffisant à Lyon ne l’est pas à Londres6 ! Pour compléter la bourse, j’ai travaillé un week-end par mois à la maison médicale de garde de l'aéroport. Enfin, même si on ne maîtrise pas parfaitement l’anglais, je pense qu’il faut se lancer quand même ! Il n'y a rien de plus efficace que de le pratiquer au quotidien.
- Avez-vous gardé des contacts avec le Cicely Saunder’s Institute ?
Oui, bien sûr, je participe régulièrement à leurs évènements et participe au comité de pilotage de la task force "LGBTQ" que le King’s College guide pour l’EAPC. Il existe dans ce domaine de vraies opportunités d’apporter des améliorations des prises en charges des patients palliatifs, tant sur leurs attentes spécifiques que l’accompagnement qui peut être proposé.
Pour en savoir plus :
Voir le profil de Guillaume Economos dans notre annuaire des chercheurs.
Plus d’informations sur le Cicely Saunders Institute of palliative care, policy and rehabilitation du King’s College :
https://www.kcl.ac.uk/cicelysaunders
Crédit photo : KiloCharlieLima by Wikimedia Commons
- Diplôme d’études spécialisées complémentaires
- Les Agences régionales de santé (ARS) permettent aux internes en médecine, en pharmacie et en odontologie de suivre une année complète dans un laboratoire en France ou à l’étranger, pour y accomplir des travaux de recherche en vue de la préparation d’un master ou d’une thèse.
- Les financements H2020 sont des financements européens. Pour en savoir plus : https://www.horizon2020.gouv.fr/
- Cicely Saunders (1918-2005) est une infirmière, travailleuse sociale, médecin et écrivain qui a développé le concept de soins palliatifs dans la médecine moderne, fondé le premier établissement spécialisé dans ce secteur et développé des recherches sur les soins palliatifs.
- Les directives anticipées correspondent à une déclaration écrite dans laquelle une personne indique les traitements et actes médicaux qu’elle souhaite, ou non, voir réaliser si un jour elle se retrouve dans une situation de fin de vie sans être en mesure d’exprimer sa volonté. (Voir un article à ce sujet sur le site de la Plateforme)
- La bourse fournie par l’ARS correspond au salaire d’un interne au 1er échelon soit environ 1200 euros par mois.
Publié le 7 décembre 2020
Auteure : Delphine Gosset