Morts Covid en Migration
Le projet MoCoMi aborde sous des angles très divers la question de la mort, chez les migrants, pendant la pandémie de Covid-19.
En contexte migratoire, l’ombre de la mort est très souvent présente, qu’on la fuie, en quittant son pays en guerre, ou qu’on la risque, en traversant la mer sur une embarcation de fortune. Les migrants, déjà pour la plupart en situation de vulnérabilité, ont vu leur situation s’aggraver et se complexifier avec la pandémie. La sécurité espérée en France, terre d’asile dotée d’un système de santé fiable, n’était finalement pas au rendez-vous. Le projet de recherche MoCoMi (pour « Morts covid en migration ») s’intéresse aux impacts conjoints du covid-19 et de la condition de migrant sur la confrontation de ces personnes avec la mort1.
Lancé par l’Institut convergences migrations (ICM)2, ce projet prévu sur deux ans mobilise de nombreux chercheurs aux méthodes et disciplines complémentaires : sociologues, anthropologues, historiens, civilisationniste, psycholoque, philosophe, politiste3. Ils mènent leurs travaux en zone frontalière : dans les Alpes à la lisière de l’Italie, à Strasbourg, au Havre, mais aussi dans le nord parisien. MOCOMI s’articule autour de trois grands axes de recherche : tout d’abord la gestion matérielle et symbolique des corps, dans un contexte où les protocoles sanitaires limitent les pratiques funéraires autour du corps du défunt, ensuite les représentations culturelles et cultuelles relatives au Covid-19 et à ses victimes, et enfin les conséquences sur la santé mentale des migrants de la perte d’un proche et du deuil en contexte pandémique4.
Des deuils difficiles
Les travaux menés en Seine Saint Denis et au Havre mettent en évidence la perturbation des services funéraires et les situations de deuils compliqués qui en ont résulté. Avec l’interdiction des visites et les consignes de mise en bière immédiate, beaucoup de familles se sont vu remettre à la sortie de l’hôpital un cercueil scellé. Privées de la possibilité de voir leur défunt, certaines ont eu beaucoup de mal à prendre véritablement conscience du décès et donc à surmonter le trauma. Pour les migrants musulmans, l’interdiction de rituels comme la toilette mortuaire est une véritable source de détresse. La pandémie a également révélé l’ampleur de la pénurie de carrés musulmans dans les cimetières de nombreuses municipalités, certaines d’entre elles, peu conciliantes, refusant l’accueil des corps selon les coutumes de l’Islam5.
L’impossibilité de rapatrier les corps au pays d'origine a généré un sentiment d'échec chez les familles qui connaissaient ce souhait chez le défunt. Celles-ci ont eu l'impression de ne pas avoir pu accompagner leurs proches convenablement dans la mort. «Beaucoup de familles s’interrogent sur une éventuelle exhumation de la dépouille mortelle et sur son transfert au pays d'origine une fois les frontières ouvertes de nouveau, mais personne n’a envie d’enterrer deux fois ses proches. Il s'agit d'une vraie épreuve émotionnelle… explique Linda Haapajarvi, sociologue. Ces situations vont-elles faire évoluer les représentations de la « bonne mort » en migration ? C’est l’une des questions de recherche à laquelle on espère, à terme, pouvoir répondre. »
Une vulnérabilité accrue
Des étudiants ont vécu des situations dramatiques en apprenant la maladie ou le décès de plusieurs proches restés au pays d'origine. Beaucoup se sont interrogés sur l’éventualité d’un retour, sans certitude de pouvoir revenir étudier en France. Ceux qui ont été soudain privés de leur soutien financier ont vu, en outre, leur précarité s’aggraver. En effet, le Covid-19 a souvent altéré les conditions d’existence matérielles et juridiques des migrants. En cas de décès du conjoint français d’une personne en situation irrégulière, par exemple, différentes formes de vulnérabilités se sont accumulées.
Selon les populations interrogées, la perception du danger épidémique est variable : chez certains jeunes, on observe une mise à distance de la mort, mais énormément d’anxiété vis-à-vis de l’avenir. Difficile de se soucier de la maladie quand la gestion du quotidien est déjà une lutte. Pour les réfugiés Syriens interrogés dans la région strasbourgeoise, la mort du Covid-19 est perçue comme nettement moins menaçante que la guerre qu’ils ont fuie. Cependant, l’inquiétude pour leurs proches reste bien présente car ces derniers doivent faire simultanément face au conflit et au virus.
La pandémie a-t-elle changé la donne pour les personnes en cours de migration ? Celles qui sont décédées pendant le voyage ont elle subi avant tout les conséquences de leur condition de migrants ou celles du Covid-19 ? L’épidémie a-t-elle réactivé le stéréotype de l’étranger, vecteur de la maladie et de la mort ? Comment la fermeture des frontières et les confinements ont-ils modifié la situation des individus qui risquaient l’expulsion, ou accentué les difficultés des personnes déjà installées ? La santé des plus démunis a-t-elle été sacrifiée ?
Tous ces questionnements font partie des nombreuses réflexions abordées dans le cadre de MoCoMi. Ce projet, qui représente une grande diversité d’études, de terrains et de populations, devrait produire une grande richesse de savoirs. Pour les valoriser, des reportages photographiques, des articles et une série de podcasts ont été réalisés et mis à disposition sur un site internet dédié6. À consulter sans modération.
- Les recherches ayant pour thématique la mort et les migrations sont relativement récentes. Initialement cantonnées à des travaux portant sur les lieux d’inhumation des immigrés (ces lieux étant perçus comme une marque d’intégration), elles se sont élargies depuis une dizaine d’années aux situations de mort violente survenant au cours du voyage (noyades en méditerranée, morts dans le désert mexicain).
- L’ICM est un institut de recherche public associant sciences sociales, sciences humaines et sciences de la santé, créé dans le cadre du Programme des investissements d’avenir. Il est financé par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. https://www.icmigrations.cnrs.fr/
- Nada Afiouni, civilisationniste, Mathieu Grenet, historien, Linda Haapajärvi, sociologue, Carolina Kobelinsky, anthropologue, Françoise Lestage, anthropologue, Anaïk Pian, sociologue, Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky, anthropologue, Antoine Pécoud, sociologue et politiste, Aïssatou Mbodj-Pouye, anthropologue.
- Ce dernier axe vise à produire des préconisations pour un meilleur accompagnement de ces personnes.
- Les municipalités ne sont pas obligées de prévoir un carré musulman dans leurs cimetières, mais avec l’interruption du rapatriement des corps pendant la pandémie, le manque d’emplacements dédiés s’est cruellement manifesté.
- Ces reportages et podcasts ont été réalisés par Anastasia Chauchard, étudiante en master Migrations à l’ICM.
Pour en savoir plus :
https://www.icmigrations.cnrs.fr/mocomi/
Contact :
Linda HAAPAJARVI
linda.haapajarvi@ehess.fr
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Crédit photo : Anastasia Chauchard
Auteure : Delphine Gosset
Publié le 2/11/2021